Le réseau de la santé n'a qu'une donnée (mais toute qu'une!) pour parler
de maltraitance envers les aînés : selon un taux de prévalence
entre 4 et 7 %, le nombre d'aînés vivant une situation de maltraitance
en Estrie oscillerait entre 4000 et 7000 victimes.
« C'est beaucoup trop! », affirmait la directrice adjointe au Programme de soutien à l'autonomie des personnes âgées (SAPA) du CIUSSS de l'Estrie - CHUS, Sylvie Quenneville, à l'occasion du lancement de l'édition 2016 de la campagne du Ruban mauve et de la nouvelle Charte de bientraitance envers les aînés en Estrie.
Phénomène « nouveau »?
Du moins, on le dénonce réellement haut et fort depuis quelques années seulement.
« Il y a dix ans, on n'entendait pratiquement pas parler de cette problématique dans les corridors. Maintenant, on parle de plusieurs cas chaque semaine. On voit de plus en plus ces situations, assurément. Mais, est-ce qu'on a plus de gens qui vivent de la maltraitance, ou est-ce que les tabous ont été brisés?», questionne Mme Quenneville.
Cette explication justifie en partie l'absence de statistiques sur la problématique de la maltraitance des aînés. Dans les faits, le 4 à 7 %, on le tient d'une étude pancanadienne.
L'autre raison est plus complexe : la peur de dénoncer.
« Le principal obstacle à toute intervention est la volonté des victimes de dénoncer leur situation. Nous avons mené plusieurs activités de sensibilisation auprès du personnel des établissements afin qu'il soit à l'écoute. Si la victime ne veut pas dénoncer, l'infirmière ne fermera certainement pas les yeux : elle tentera de créer un lien de confiance, l'amener à s'outiller pour se protéger et peut-être, finalement, dénoncer. Mais le début de toute chose, c'est que l'aîné parle », souligne Mme Quenneville.
Que faire quand c'est son enfant?
Un avis partagé par l'intervenante principale du Centre d'aide aux aînés victimes de maltraitance (DIRA-Estrie), Lucie Caroline Bergeron.
« La plupart des aînés maltraités le sont par un membre de la famille : un fils, une fille, un petit-fils... Depuis quelques années, on voit de plus en plus de situation où le maltraitant est aux prises avec une problématique de santé mentale, diagnostiquée ou non, combiné à une dépendance à l'alcool, aux drogues au jeu. »
Une situation qui pouvait peut-être jusqu'alors être gérée par le parent. Mais comme il prend de l'âge, problématiques peuvent devenir de plus en plus difficiles à gérer. Et qui veut dénoncer un enfant déjà aux prises avec des difficultés importantes...?
« Comme la plupart des situations impliquent un membre de la famille, la victime ne voudra pas porter plainte parce qu'elle est convaincu que son abuseur peut se reprendre en main. Dénoncer est vu comme mettre des bâtons dans les roues, même s'il y a matière à porter plainte au criminel », explique Mme Bergeron.
Situation particulière? La réponse peut s'adapter
Dans la grande majorité des dossiers ouverts en 2015 par DIRA-Estrie, la situation implique une maltraitance financière accompagnée d'abus psychologique.
« Toutes les démarches des victimes n'impliquent pas nécessairement une intervention judiciaire, précise Mme Bergeron. Certaines personnes ont besoin de se donner des limites et de les faire respecter par leur entourage. Une personne flouée pourrait quant à elle vouloir porter plainte aux petites créances, récupérer les sommes envolées et mettre un filet de sécurité autour de ses avoirs pour éviter que la situation se répète. Quelle que soit la démarche, nous pouvons accompagner la personne. »
En 2014, 49 dossiers avaient été ouverts par l'organisme. L'année suivante, 111.
« L'augmentation est probablement due à la sensibilisation, aux formations que l'on donne un peu partout et au plan d'action gouvernemental contre la maltraitance. Les gens sont plus conscients de la problématique et sont peut-être plus enclins à parler. Lorsqu'on arrive à conscientiser les gens sur les conséquences psychologiques, physiques, financières et sociales de la maltraitance, ils deviennent parfois plus favorables à entreprendre une démarche pour faire cesser l'acte, réduire les méfais et même, trouver les bonnes ressources pour aider la personne qui maltraite. Mais le point de départ est là : il faut dénoncer », conclu Mme Bergeron.